Avec "Les petits entretiens", découvrez une nouvelle auteure :

Justine Guyomard !  

     Autoportrait

Le printemps va bientôt pointer le bout de son nez et nous en profitons pour vous proposer une nouvelle rubrique intitulée "Les petits entretiens". A chaque changement de saison, il s'agira d'essayer de vous présenter un nouvel auteur à travers un court entretien composé de trois parties. Allez, zou ! En avant !   Suivez-nous pour découvrir le travail de Justine  !    

  Comment as-tu commencé à faire de la bande dessinée et qu'est-ce qui motive cette pratique chez toi encore aujourd'hui ?

Depuis que je suis gamine, j'ai toujours beaucoup dessiné. Beaucoup de personnages, de corps, des visages. Plus tard, adolescente, j'avais commencé à écrire des petites histoires, ambiance policière. Dans la vingtaine, je continuais à dessiner mes bonhommes et mes bonnes femmes. Mon mari de l'époque, qui était photographe et artiste, me voyait crayonner ces personnages. C'est lui qui m'a incitée à tenter la BD :"Tes dessins sont toujours narratifs, en fait. Tu devrais faire de la BD". L'idée a fait son chemin. Je suis allée fouiller dans mes vieux cartons retrouver mes mini polars, je les ai remaniés et c'est comme ça que la 1ère histoire d'Agathe Rappin a commencé. On était en 1995. Pendant que je finissais les dernières planches, une idée m'est venue pour une 2ème histoire. Alors j'ai rembrayé. Et c'est comme ça à chaque aventure: quand j'arrive à la fin d'un "album", l'idée germe pour le suivant. Comme je produis très lentement, ça fait 18 ans que ça dure!

 La BD, ou le "récit séquencé" est un mode de narration qui me convient bien. J'y trouve un bon dosage entre le texte (les dialogues essentiellement) et l'image pour monter une ambiance et camper des personnages. Quelqu'un m'avait suggéré de me concentrer sur la partie dialogue, pour du théâtre par exemple, mais le dessin me manquerait trop.  Je dessine aussi encore beaucoup hors BD, mais je reste souvent sur un registre presque narratif. J'ai toujours une petite histoire dans la tête ou un lien avec le langage.

Tu as quand même dessiné  à ce jour six albums des aventures d'Agathe donc pas loin de quatre cents pages. C'est rare de voir une dessinatrice amatrice rester fidèle aussi longtemps à un même personnage. Comment expliques-tu cela ?  

Il faut croire que je suis têtue ou un peu obsessionnelle! Blague à part, je me plais à construire cet univers au fil de chaque histoire. Je creuse les personnages, je rajoute des couches sur ce qu'on sait de leur vie, je fais revenir certains personnages périphériques. En fait, dès la 3ème histoire je me suis dit que ce serait une série, une héroïne "récurrente", et que j'allais bâtir un "petit monde". Et depuis je continue à broder. Cependant, même si Agathe Rappin représente le plus gros de ma production (en temps comme en nombre de planches), elle n'est pas fille unique. J'ai aussi fait un album d'autobiographie (Les dîners des copines), je mets en ligne sur mon blog une série de strips intitulés "GAME Mother" (sur les déboires d'une mère et ses fils accrocs aux jeux de stratégie) et j'ai fait aussi une histoire pour enfant (Picotto) que j'ai éditée à compte d'auteure.

Extrait de "GAME Mother"

Tu travailles toutes ces productions en "amatrice". Que signifie pour toi cette appartenance au monde des auteurs amateurs ? Quels avantages ? Quels inconvénients ?

Je n'ai suivi aucune formation de dessin ou de métier qui touche au graphisme. J'exerce un métier qui n'a rien à voir avec le dessin depuis la fin de mes études. Cette production de bande dessinée ne pouvait donc pas se faire de façon professionnelle. D'autant plus que les débuts ont été laborieux. J'ai pas mal tâtonné pour trouver ma technique, mon ton, mon rythme. Je n'étais pas du tout armée pour aller démarcher des éditeurs et présenter mon projet. Mais cette création de BD m'est absolument nécessaire et m'apporte une satisfaction que je n'ai pas dans ma vie professionnelle. Je continuerai tant que ce plaisir sera là.

L'avantage de travailler en amateur est bien sûr la liberté très grande dont on jouit : on peut choisir de rester au crayon et freutre au lieu de passer à la palette graphique, on peut faire 72 pages au lieu des 48 réglementaires. On peut traiter des scenarii qui ne sont pas très "tendance". On produit à son rythme. On peut faire des essais. On ne rend de compte qu'à soi même et la seule chose qu'on peut craindre de perdre, c'est de l'encre, du papier et son propre temps. Le plus gros inconvénient que j'y vois, c'est que mes histoires restent assez confidentielles. La BD amateur se diffuse peu, et surtout auprès d'un public qui est lui même auteur amateur. Du moins, c'est le ressenti que j'ai, pour le moment. Et il faut reconnaître, que j'aimerais beaucoup qu'Agathe Rappin rencontre un plus large public. Quand on a passé tant de temps à travailler sur un projet, on aimerait pouvoir montrer le résultat final. C'est sans doute une petite poussée d'orgueil!

Extrait de "Picotto". Album jeunesse.

Les aventures d'Agathe Rappin sont à ranger dans la rubrique "polars". Quelles sont tes influences dans le domaine ?

J'aurais tendance à dire qu'elles viennent plus de la littérature et du cinéma que de la BD. J'ai lu et je lis encore pas mal de romans policiers et j'ai beaucoup regardé les films noirs américains des 40 et 50. Dans les contemporains, chez les auteurs français, j'ai un grand penchant pour Fred Vargas et ses personnages très attachants. Chez les anglais, je suis accroc aux romans de Philipp Kerr. Mais c'est toujours difficile de mesurer à quel point les univers qu'on aime bien viennent "infuser" dans le petit monde que l'on construit dans ses BD. Je ne construis pas mes histoires en pensant à des références aux romans que j'ai bien aimés. 

Mais dans mon petit monde de BD, comme dans ce que je lis, je suis attentive à l'atmosphère, aux interactions entre les personnages, à la façon dont les caractères sont "brossés" pour le lecteur. 

Cependant, j'ai relu récemment les "Yoko Tsuno" que j'aimais tant quand j'étais gamine et que j'avais complètement perdus de vue (et les albums aussi d'ailleurs, au gré des déménagements!). Et d'un coup, ça m'a frappée que même si elles évoluent dans des univers radicalement différents, Agathe Rappin pourrait bien être une héritière inattendue de Yoko Tsuno. Ce sont deux jeunes femmes relativement indépendantes, qui n'ont jamais aucune légitimité réelle à enquêter et dont les succès reposent principalement sur les liens affectifs qu'elles ont tissés avec des personnages qui se révèlent très utiles pour élucider le mystère ou résoudre la situation.

Extrait des aventures d'Agathe Rappin. "Correction d'auteur" page 24.

Et du côté graphisme, quelles sont tes références ? 

Enfant et adolescente j'étais subjuguée par les dessins d'Hergé et Franquin (par ordre chronologique), ça y est c'est confessé. J'ai passé aussi beaucoup de temps à regarder les dessins animés à la télé. Aujourd'hui encore, d'ailleurs ! Je lis aussi certains mangas de mon fils. Et j'adore les films d'animation, quelque soit la technique (dessin, image de synthèse, pâte à modeler). J'ai arpenté pas mal de salles de musée et parcouru beaucoup de livres sur les peintres et dessinateurs du passé.

Quand je lis des BD, après la découverte de l'histoire, je passe beaucoup de temps à regarder le dessin de près. J'ai comme ça scruté des albums de Loisel, Rabaté et Tardi.  

Tout ça pour expliquer que je suis toujours très curieuse de voir et comprendre comment quelqu'un traduit sa vision du monde et des humains à travers un medium graphique. Je regarde ça de près. Des fois je me dis "ah c'est comme ça qu'il a résolu le problème des mains de face", ou bien "ça c'est très efficace pour faire le fondu du décor en arrière plan". Mais je ne pense pas faire d'emprunt direct, en tout cas, pas volontairement. 

Toutes ces observations doivent se fusionner dans mon cerveau, faire le lien vers mes propres capacités de précision, de (presque) sûreté de main pour aboutir à ce qui sort sur la planche.

En tout cas, je suis plus à la recherche d'un dessin "évocateur" ou "saisissant" que "descriptif". Je n'ai jamais recherché le réalisme et je ne suis pas très friande de ce genre de graphisme, même si je m'incline devant la virtuosité et la rigueur qu'il impose.

Voilà...c'est tout pour aujourd'hui ! Rendez-vous la semaine prochaine pour le second volet de cet entretien.

D'ici là, ne manquez pas de passer faire un tour sur le blog de Justine : http://justineguyomard.blogspot.fr/ .