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Et voici, comme promis, la suite de notre entretien avec Justine.
Cette fois, elle nous livre tous ses petits secrets de fabrication ...
Les aventures d'Agathe Rappin. "Invention sous tension". Page 24.
En général, pour raconter une histoire en bande dessinée, il faut une "bonne idée". Sais-tu comment te viennent tes "idées" ?
Je ne sais pas si mes idées sont vraiment "bonnes", mais en tous cas j'essaye de les exploiter. L'idée du scénario et son montage se fait un peu comme une mosaïque. Ca part d'une substance assez faible au départ. Une situation, quasiment une scène qui me plairait. Une fois c'était juste le titre ("Les toiles mystèrieuses", je voulais faire une homophonie du titre de Tintin). A partir de ce petit point de départ, je creuse et je rassemble des éléments. Je fais des hypothèses : on pourrait trouver tel genre de perso, utiliser telle fausse piste ou tel indice. Je suis aussi perméable à l'actualité. Des évènements du réel viennent s'accrocher dans la toile que je tisse. Je tatonne, j'écris des morceaux, je reviens dessus. J'y pense en toile de fond, j'ai un carnet oû je note des idées. Et petit à petit comme les brindilles d'un nid, tout s'imbrique. Certaines brindilles tombent ou cassent mais l'ensemble finit par tenir. Du moins, il me semble. Je me raconte une histoire comme j'aimerais qu'on m'en raconte une.
Et cette histoire, tu l'écris entièrement avant de la dessiner ou bien alors tu as les grandes lignes en tête et tu avances petit à petit au fur et à mesure que tu la crées graphiquement ?
D'abord, j'écris mon histoire en entier sous la forme d'un synopsis. Je rédige l'histoire dans ces grandes lignes, avec les tournants de l'intrigue, les détails significatifs. Dans ces 5 à 10 pages, je nomme déjà les personnages, les pays et villes imaginaires. Ensuite, je reprends mon texte et je procède au découpage en "scènes" comme une pièce de théâtre. A ce stade, j'écris les dialogues et je commence à imaginer les décors, les enchaînements. Pour la suite, ma méthode a un peu évolué. Jusqu'à l'histoire précédente, je faisais un brouillon complet en préparant la disposition des cases et les dialogues (comme sur l'extrait proposé de "Corrections d'auteur" présenté ci-dessous). Et seulement après avoir fini ce brouillon, je me lançais sur les planches définitives. Pour le dernier album, "Invention sous tension", je suis passée directement du découpage en scène aux planches définitives. Il y a eu des adaptations encore à ce stade : réécriture de dialogues, meilleur raccord de certains détails. Mais j'ai trouvé cette méthode plus rapide et plus efficace. Je vais donc la reprendre pour la prochaine histoire.
Tu te mets donc au dessin des planches. Peux-tu nous détailler ta manière de procéder d'un point de vue graphique ?
Je commence par tracer et encrer mes cases. Je place ensuite le volume de mes bulles et j'encre leur contour. Cela fait, j'ai posé les contraintes impondérables et je vais pouvoir me lancer pour le crayonné. Je suis beaucoup plus à l'aise avec le crayon qu'avec le feutre, aussi je pousse mon travail au crayon assez loin, presque jusqu'au rendu final. Je veux ne plus avoir à improviser au moment de l'encrage. J'ai tendance à traiter d'abord le 1er plan et les personnages et rajouter ensuite le décor. C'est un point sur lequel je dois vraiment travailler : enrichir les décors et mieux les préparer. Comme la fabrication de l'album s'étale sur 2 ans la plupart du temps, j'ai tendance à dériver sur la configuration des lieux que l'on voit à plusieurs reprises. Je m'oblige à plus prédocumenter mes décors et accessoires à présent. Je fais des plans de certains lieux, des croquis des véhicules. Je suis une mauvaise élève des cours de dessin car je ne tire jamais les lignes de fuite ni d'éclairage. Là aussi je devrais faire un petit effort car j'y gagnerais sûrement en précision et en justesse.
Une fois le crayonné terminé, j'encre au feutre. A ce moment, je rajoute des détails, des éléments de décors, des sihouettes. Ensuite, j'écris mes textes à la main (après avoir préparer mes lignes au crayon) et j'encre aussi les dialogues. Je gomme tout le crayon et je passe à l'aquarelle. J'utilise un crayon aquarellable noir dont j'ai dénudé la mine assez largement. Avec le pinceau mouillé je viens chercher le pigment directement sur la mine. Je travaille ensuite avec l'eau pour diluer. Il y a souvent plusieurs couches pour pouvoir rendre les volumes et les détails (par exemple dans les arbres). Il faut se ménager parfois quelques temps de séchage. A ce dernier stade, je peux rajouter encore du détail si je trouve l'environnement trop pauvre ou trop fade.
Tu n'utilises pas du tout de technique numérique alors ? Penses-tu le faire un jour ?
Eh non, pas de numérique. Je n'ai même pas de tablette graphique ! Et je suis complètement ignorante de photoshop, xpress ou illustrator. Je fais plutôt de la BD "poveretta" finalement, avec les moyens du bord. Du A4, du feutre, du crayon, une règle. En tant que lectrice, je n'apprécie pas tellement le rendu des BD faites en numérique. J'ai même lâché une série que j'aimais bien à partir du moment où le dessinateur est passé au numérique. Je trouve ça très froid, très uniforme. Je ne doute pas du fait que ça facilite certainement le travail pour la chaîne graphique mais, comme c'est des contraintes que je n'ai pas, je crois que je ne vais pas m'y mettre. On en restera au scan du résultat final.
Tu produis très régulièrement et en quantité assez importante. Combien de temps de travail te demande une page ? Sachant que tu appartiens à la grande famille des amateurs, que tu as une vie professionnelle et familiale qui te mobilisent aussi beaucoup, comment arrives-tu à tout concilier ? As-tu une recette miracle dont tu pourrais nous faire profiter ?
Pas de recette miracle, je le crains. Si ce n'est cette dose d'entêtement dont nous avons déjà parlé. Je dessine le soir après que mon plus jeune fils est couché, c'est à dire à partir de 20h30 et jusqu'à 23h environ. Je dessine sur la table à manger familiale et très souvent devant la télé, ce qui me permet de ne pas me couper des activités de mon mari et de mon fils aîné. Ce petit cérémonial a lieu 6 jours sur 7. Mais pas forcément sur une plage horaire aussi longue à chaque fois. Ca dépend de ma fatigue et de ma motivation. J'arrive parfois à y consacrer quelques heures volées le week end ou le mercredi après midi (car je travaille en 4/5ème) mais c'est franchement rare. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je dessine beaucoup moins pendant les périodes de vacances : ces moments là sont majoritairement dédiés aux enfants et à mon chéri. Je me fixe pour objectif de sortir une page toutes les semaines. Commencée le dimanche soir, je la publie généralement sur le blog le samedi suivant ou le dimanche suivant. C'est un petit stress que je me suis donné car je ne crois pas que les lecteurs du blog soient aussi réguliers à le visiter mais ça donne un rythme à tenir. Cette contrainte artificielle conditionne aussi le rendu des planches : c'est sans doute moins fouillé, moins "léché" que si je m'accordais plus de délais. Mais déjà à ce rythme, chaque histoire me prend plus de 2 ans! Si j'ai un modeste conseil à donner, c'est de travailler sur son projet très régulièrement et très fréquemment : si on lâche pendant plusieurs semaines, on perd le contact avec son dessin, ses ambiances, les idées s'évaporent. Il faut être un peu acharné, quand même quand on se lance dans un projet de BD. Amateur, certes, mais pas trop dilettante.
Voilà...c'est tout pour aujourd'hui !
En attendant de lire la fin de cet entretien la semaine prochaine,
vous pouvez vous rendre sur le site de Justine pour y découvrir ou y redécouvrir sa production :
http://justineguyomard.blogspot.fr/
Commentaires
Toujours aussi instructif et
Toujours aussi instructif et sympathique !
D'ailleurs j'ai passé commande :) Je dois maintenant trouver le temps de poster l'enveloppe :)
Y'a pas de secret, ne pas
Y'a pas de secret, ne pas lacher son histoire. C'est certainement le plus difficile, avoir la volonté. C'est très enrichissant et je trouve Justine très agréable à lire